
La Constitution désormais
en vigueur dans notre pays sanctionne le nomadisme politique d’un élu. À cet
effet, l’article 106 du texte dispose : «Tout député ou tout sénateur, qui
démissionne de son parti politique ou de l’organisation qu’il représente, est déchu
de son mandat.
La démission est dûment constatée par écrit. L’adhésion à un
autre parti ou à une autre organisation est considérée comme une démission. Le
député ou le sénateur démissionnaire est remplacé dans les conditions déterminées
par une loi organique». C’est fini, du moins dans le texte fondamental, le
nomadisme en cours de mandat dans notre pays.
La promulgation de la Constitution, le samedi 22 juillet
dernier par le président de la Transition le colonel Assimi Goïta, met fin à
cette gangrène qui avait sérieusement rongé les partis politiques. Cela
intervient après la proclamation des résultats définitifs par la Cour
constitutionnelle qui a vu le Oui l’emporter avec 96,91%.
Ces résultats sont
obtenus à l’issue des scrutins référendaires des dimanches 11 et 18 juin.
Considéré comme une faille de la démocratie
malienne, le nomadisme politique, il y a belle lurette, a été décrié par
les leaders politiques qui sont à la fois victimes et acteurs de ce jeu
trouble. C’est à juste titre que notre rédaction s’est intéressée à la problématique pour apporter
des éclairages sur le sujet.
STABILITÉ POLITIQUE
ET SOCIALE- L’enseignant-chercheur chargé des questions politiques et sociales à
l’École normale supérieure (Ensup) de Bamako, Bakabigny Keïta souligne que la
Constitution ne mettra pas fin au changement de parti des militants, mais avec
elle, il ne sera plus possible qu’un élu change de formation politique en cours
de mandat.
Il ajoute que l’élu ne pourra changer de parti qu’après son mandat
au risque de le perdre. Toutefois, indique-t-il, la Constitution ne prévoit pas
de permettre au parti d’origine de remplacer un élu qui change de parti pendant
son mandat. Pour l’enseignant-chercheur, le député ou le sénateur en perdant le
mandat pour une raison ou une autre, il le fait perdre également à son parti
d’origine. Or, de l’avis de Bakabigny Keïta, ce parti n’y est pour rien.
Pour corriger cet état
de fait, le spécialiste des questions politiques propose de prendre des décrets
d’application qui vont garantir le mandat de l’élu démissionnaire à sa
formation. La fin du nomadisme politique, fait savoir Bakabigny Keïta,
contribuera à la stabilité politique et sociale de notre pays à travers le
renforcement de l’égalité et de la démocratie. «En mettant fin au nomadisme
politique, la Constitution se présente comme garante de la démocratie et à
contrario comme adversaire de l’oligarchie (pouvoir de la richesse)», analyse
l’enseignant-chercheur.
Selon lui, l’article 106 de la Loi fondamentale est une
avancée majeure pour notre démocratie.
En dehors de cet article, le domaine politique reste exposé au pouvoir
de l’argent et de celui de la grande hiérarchie administrative, explique-t-il.
Le professeur d’enseiggnement supérieur affirme que l’effet politique de
l’article 106 est de protéger les acteurs politiques individuels ou collectifs
faibles contre les plus forts.
Afin, soutient-il, de créer un équilibre entre
les forces actives sur la scène politique. Ainsi, Signale-t-il, la Constitution
se propose de guérir le jeu politique du mal du nomadisme. L’expert déplore que
notre Loi suprême n’ait pas organisé les partis politiques selon des
orientations politiques, économiques, sociales et philosophiques.
MORALISATION DE LA
VIE PUBLIQUE- L’un des acteurs de la révolution de mars 1991, Me Mountaga Tall
aborde la thématique en considérant l’interdiction du nomadisme politique comme l’une des innovations salutaires de la
Constitution. Le président du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid)
ajoute qu’il ne sera interdit à personne de changer de parti. C’est un choix
libre, insiste-t-il. «Par contre, nul ne sera désormais autorisé à changer de
parti en amenant avec soi, le mandat du parti. Cet acte est une déloyauté.
C’est à cela qu’il faut mettre un terme», note Me Tall, se réjouissant que ce
soit une avancée dans la moralisation de la vie publique. «Oui, c’est la fin du
nomadisme politique», soutient-il.
Le leader politique
maintient que le nomadisme politique a dévalorisé l’action politique au-delà,
l’action publique et les hommes politiques. Pour lui, il est inadmissible qu’un
candidat batte campagne avec les couleurs et les programmes d’un parti
politique et que juste après son élection, celui-ci vende son mandat au plus
offrant. Il affirme que cela peut amener les électeurs à s’interroger et à s’écarter
de la vie publique.
Le nomadisme est l’une des raisons qui ont creusé davantage
l’écart entre la classe politique et les citoyens, dénonce l’ancien ministre. «Si
aujourd’hui, il y a une volonté réelle de moraliser ce point, ce n’est que bénéfic
pour l’action publique au-delà de l’action politique», reconnaît Me Mountaga Tall.
D’après notre interlocuteur, il est bon qu’un homme politique donne l’exemple,
qu’il soit un miroir. De son point de vue, les hommes politiques ne devraient même
pas attendre un tel texte pour avoir un comportement moralement acceptable. De
ce fait, dit-il, l’éthique et la morale doivent être la boussole, non pas la
contrainte. C’est pourquoi, le Cnid, par la voix de son président, dit n’avoir
jamais accepté de recevoir quelqu’un qui a quitté son parti avec son mandat.
Par contre, fait remarquer le leader politique, parmi ceux qui ont voulu
quitter le Cnid étant élus aucun n’a survécu politiquement. En tout cas, Me
Tall semble garder son aura dans le landerneau politique malien, hier comme
aujourd’hui. Quant au secrétaire général de l’Adéma-PASJ, il se demande plutôt
qu’avec cette disposition constitutionnelle, s’il n’existe pas là un autre piège
qui favoriserait les candidatures indépendantes au détriment des partis
politiques.
Néanmoins, Yaya Sangaré relève qu’avec la promulgation de la Constitution, même si l’on n’assiste pas à la fin du nomadisme politique, il pourra être mieux encadré. «Le nomadisme politique est un fléau pour la démocratie, en ce qu’il instrumentalise les élus en quête de quelques avantages matériels et de promotion politique, fragilise les équilibres et les contrepoids nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie, cultive et entretient même l’immoralisme en politique», argument l’ancien ministre. Indiquant que la disposition constitutionnelle le concernant est une avancée à saluer, en ce sens qu’elle participe à la prise de conscience du fléau du nomadisme politique. Mais, prévient-il, son traitement peut s’avérer insuffisant si l’on ne l’attaque pas à sa racine.
DEMANDE FORTE DE LA
CLASSE POLITIQUE- L’article concerné, poursuit Yaya Sangaré, établit désormais
un lien contraignant entre le parlementaire élu sur la liste électorale d’un
parti politique et celui-ci. Selon lui, tout retrait de ce parti, en plein
mandat, met fin à l’activité parlementaire de l’élu. S’inscrivant dans la
logique de la Constitution, il précise que l’article en question prévoit, en
effet, la déchéance pour tout parlementaire qui viendrait à quitter sa
formation politique en cours de mandat. Dans ce sillage, le secrétaire général
de l’Adéma-PASJ avertit que si tel est le principe, sa mise en œuvre peut s’avérer
difficile dans la pratique. D’où ce questionnement de sa part : «Ne
s’agit-il pas là aussi d’une remise en cause de l’esprit du mandat national de l’élu parlementaire au
profit du mandat impératif ?».
Pour Yaya Sangaré,
cet article a été une demande forte de la classe politique, même au-delà, pour
tenter de moraliser certains comportements des politiques qui tranchent avec l’éthique
et le respect dû aux choix des mandants. Ce faisant, il laisse entendre que
l’encadrement du nomadisme politique devrait permettre à la politique de cesser
de devenir une rente. L’acteur politique exhorte les formations politiques à
jouer pleinement leur rôle en accomplissant leur noble mission d’éducation
civique et de mobilisation des citoyens autour des objectifs de transformation
positive de la société.
Abondant dans le même
sens, le président du parti Yèlèma (le Changement) révèle que sa formation
travaille fondamentalement déjà à construire le bon militant. «Nous avons
compris que le faible militant a plus
tendance à transfuger que le militant aguerri. Nous pensons qu’il faut
travailler au militantisme et sortir de la notion d’électeur», renchérit
Youssouf Diawara, soutenant que l’objectif est de recruter les militants pour
les former sur la connaissance des idéaux du parti et de son projet en faveur
du Mali. Le leader politique entend se battre afin de moraliser l’administration publique pour éviter
ses influences négatives sur le processus démocratique.
Cette administration, évoque-t-il,
doit par essence être neutre vis-à-vis de ces formations. Le plus souvent,
l’appareil d’État est l’un des acteurs majeurs de cette transhumance parce qu’il y a souvent des pressions à
plusieurs niveaux qui font que les élus, malgré le mandat qu’ils ont de leurs
bases, arrivent soit à faire un transfuge ou aller à l’encontre des décisions
du parti, constate le leader de Yèlèma.
Selon lui, il faut travailler
fondamentalement à encadrer les pouvoirs publics sur cette question. Sur le
nomadisme, le président Diawara est on ne peut plus explicite : «Le principe est suffisamment décrié
par la société, les partis politiques. La fin du nomadisme permettra d’avoir
plus d’accent en termes de conduite des responsables politiques sur le terrain». Partant de là, il ajoute que
quand un élu a un mandat de la part d’une base, la logique voudrait que sa conduite soit en cohérence
avec celle-ci.
Par ailleurs, le président
de l’Union pour la République et la démocratie (URD) garde de l’espoir en démontrant qu’avec la Constitution, il y
aura un frein total au nomadisme politique au Mali. En clair, cela signifie que
les élus ne pourront plus changer ou abandonner le parti qui est parvenu à les
faire élire.
Gouagnon Coulibaly témoigne que l’URD fait le management des
candidatures en apportant des financements et des supports de campagne. Pour
lui, il est du devoir de l’élu de reconnaître cette appartenance. Le patron de
l’URD retient que cela facilite la gestion des élus parce que les formations politiques
sauront que les candidats qui sont élus, tant qu’ils sont à leur poste, elles
peuvent compter sur eux.
Avec cette donne constitutionnelle, il assure que les élus,
malgré les désaccords, trouveront des voies et moyens d’accorder leurs violons
avec la direction du parti. Le parti a besoin des élus pour suivre sa voix et
se conformer à sa position, dit Gouagnon Coulibaly. Cet ancien député reconnait
la difficulté de contrôler des élus, malgré les réunions de cadrage avec eux
sur certains sujets de la nation.
En définitive, la
transhumance politique des députés et des sénateurs est en passe de devenir un
vieux souvenir par la contrainte de la Constitution. La fin de cette pratique,
peu orthodoxe, a été une demande forte de la classe politique dans sa majorité écrasante.
Pourtant, notre Loi fondamentale reste muette sur le cas des maires.
Namory KOUYATE
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