Un champs solaire pour la production d’énergie propre
Les interminables coupures d’électricité ne
font pas que des malheureux. En témoigne cette queue qui s’étire en ce jeudi
après-midi du mois d’octobre au marché du Dabanani, devant la boutique d’électronique
des frères Tangara. Dans cette longue file de clients exaspérés ou désespérés
par les délestages intempestifs, se mêlent ceux venus se renseigner sur le prix
des panneaux solaires et ceux prêts à en acheter. C’est la ruée vers les
panneaux solaires qui font figure de solution-miracle, tout le monde souhaite désormais
en installer chez lui, mais tout le monde n’a pas les moyens.
Derrière le comptoir de la boutique d’électronique
des Tangara, Almamy, l’un des frères, est occupé à enregistrer une commande
passée par un correspondant au téléphone. Mais il garde un œil attentif sur la
foule de clients qui s’impatientent. «Hey toi ! Dépêche-toi de t’occuper
de ce monsieur qui veut des renseignements», hurle-t-il à un commis qu’il juge
nonchalant. Almamy hausse le ton mais ne s’énerve pas, ce rappel à l’ordre est
son quotidien. Ce père de famille travaille, en effet, dans cette branche
depuis plus de trente ans.
Dans son magasin où plusieurs commis
l’assistent dans la vente, sont alignés des panneaux solaires de différentes
capacités et de tous les formats (petits, moyens et grands). Question de
pouvoir d’achat, les panneaux d’occasion et de casse, surnommés comme les
automobiles «France au revoir», ont la cote. Mais il y a aussi des panneaux
neufs. Un seul panneau, explique-t-il, peut faire fonctionner un appartement équipé
de six ampoules, un ventilateur et une télé, à condition que le branchement
soit en 12 volts (et non 220 volts comme EDM). Le commerçant confirme la préférence
des clients pour les panneaux de seconde main qu’ils jugent paradoxalement plus
fiables que les panneaux neufs importés de Chine au terme d’un long périple de
plusieurs mois avant d’arriver à destination.
Depuis l’aggravation des coupures d’électricité,
les acquisitions s’intensifient, reconnait notre interlocuteur. La boutique
enregistre ainsi une moyenne quotidienne de 10 clients qui achètent des
panneaux et au moins 4 clients quand les affaires ralentissent. Et ces
acheteurs ne sont pas que des Bamakois, car l’enseigne est connue hors de la
capitale. Des ressortissants de Yanfolila, Kolondiéba, Koumantou et autres
localités lancent ainsi des commandes et
sont livrés.
Les besoins, les usages et, donc, l’équipement,
diffèrent considérablement selon que l’on soit en ville ou à la campagne.
L’habitant d’un village déboursera moins de 100.000 Fcfa pour une installation
de 12 volts qui lui servira à éclairer sa maison et brancher de petits
appareils électriques. à Bamako par contre, pour équiper en solaire une villa,
la facture va grimper à 3 millions de Fcfa. En effet, pour remplacer les 50.000
à 60.000 Fcfa d’électricité fournit chaque mois par EDM-SA, l’habitant de la
villa va devoir acheter 16 panneaux solaires, des batteries et un convertisseur
de grande capacité pour s’alimenter en 220 volts nécessaires à ses appareils.
Almamy Tangara peut satisfaire ce large éventail de besoins avec des panneaux dont les capacités vont de 5 à 250 WT avec des prix s’échelonnant entre 8.000 et 45.000 Fcfa. La demande penche nettement vers les panneaux les plus puissants et les plus chers, car ils sont, en définitive, plus avantageux pour les clients en termes de rapport coût/rendement, souligne le vendeur.
DU SOLEIL EN TOUTE SAISON- Amadou Konaté est
venu, au compte d’un de ses amis résidant à l’étranger, acheter des panneaux
pour la nouvelle maison de ce dernier dont il supervisé le chantier. Habitant à
Boulkassoumbougou, il s’y connait pour avoir installé des panneaux solaires
dans sa famille depuis près de six mois. Lors des coupures, témoigne-t-il,
l’alimentation électrique bascule automatiquement sur le solaire qui s’avère
d’un secours précieux dans son quartier où le délestage débute à 6 heures du
matin. Les panneaux prennent alors la relève, parfois jusqu’au soir. «Mon
branchement prend tous les appareils dans ma famille, même le wifi ne s’éteint
pas», rapporte-t-il avec satisfaction.
Pendant nos échanges, apparait Amara Doumbia.
Ce chef de famille résidant à Sébénikoro, en Commune IV, semble décidé à s’équiper
en solaire. Dans cette perspective, il est venu prendre des renseignements sur
les modalités et les coûts. «J’en ai marre des coupures interminables. Je ne
peux même pas bien dormir la nuit, car je ne supporte pas la chaleur.
Souvent,
c’est au bureau que j’arrive à somnoler un peu», avoue-t-il. Néanmoins, « je
trouve les prix très élevés par rapport à mon budget pour l’instant. Sinon,
mieux vaut installer les panneaux solaires au lieu de subir des coupures
interminables. On a plus de soleil au Mali que dans d’autres pays qui
l’exploitent beaucoup. Je pense que c’est le bon moment pour nous de faire de même
car le futur, c’est le solaire», poursuit Amara Doumbia. Lui s’en retourne
pourtant sans avoir rien acheté, mais en promettant au vendeur de revenir très
vite.
Les panneaux solaires gagnent du terrain, portés
par les délestages mais plus encore par la nécessité, surtout dans les villages
ou les banlieues éloignées qui ne bénéficient pas des services d’EDM-SA. Almamy
Tangara note que cette catégorie de clients se concentre sur l’essentiel : «avec
deux ou trois panneaux, ils sont souvent satisfaits contrairement aux Bamakois
qui branchent plusieurs appareils électroniques dans leur maison».
Aly Fané se situe entre ces deux extrêmes. Le
patriarche qui a récemment déménagé à Mamaribougou, à la périphérie de la
Bamako, n’a pas mis longtemps à opter pour le solaire et se mettre à l’abri des
aléas d’EDM-SA. Il a ainsi déboursé plus de 600.000 Fcfa pour quatre panneaux
et trois batteries. Le solaire a aussi ses inconvénients, souligne-t-il, en
notant le faible rendement des panneaux pendant l’hivernage quand le temps est
couvert et les batteries mal rechargées, sans compter les coûts d’entretien des
équipements solaires.
La solution est peut-être dans le mix adopté
par des entreprises comme le site web «Sahelien.com» qui utilise des panneaux
solaires pour se prémunir des coupures électriques. Le personnel du site
travaille ainsi sans encombre durant la journée car les quatre panneaux
tiennent jusqu’à 5 heures avant de s’épuiser. Chaka Keïta, journaliste au sein
de l’entreprise, situe la faiblesse de l’installation dans la faible qualité
des batteries qui ne stockent pas un maximum d’énergie.
Mais, insiste-t-il, le
solaire dépanne énormément : «Les panneaux nous sauvent en réalité, car nous
sommes un média en ligne, donc il faut qu’on soit constamment connecté et en
mesure de produire à chaque instant alors que l’électricité peut rester coupée
pendant 7 heures d’affilée». Pour venir en aide aux entreprises et leur
fournir des installations solaires, la société Optimun Watt Peak Seven a vu le
jour.
Ingénieur en électricité et concepteur de systèmes de panneaux solaires
ou d’installations en photovoltaïque, Abdoulaye Sangaré dirige cette
entreprise. Rencontré sur le site du projet pilote de la société Optimun Watt
Peak Seven pour GKS Logistics, un vendredi soir de novembre, il explique que sa
structure entend aider les entreprises à être autonomes en termes de production
d’énergie et, ainsi, être indépendantes d’EDM-SA. Sur le site du GKS Logistics,
son projet a implanté un champ solaire d’une soixantaine de panneaux d’une
puissance de 29 KW.
Le système est censé couvrir 90% des besoins énergétiques
annuels de GKS Logistics. Ce que confirme le responsable de cette entreprise,
Nouhoum Samassékou, qui explique que les coupures incessantes qui perturbaient
gravement leur travail, les ont conduits à envisager d’acquérir des
installations solaires. Il a salué la réussite du projet piloté par Optimun
Watt Peak Seven : «On travaille de 8 heures à 17 heures sur les panneaux
solaires. Au cas où on n’a plus d’électricité solaire, le relais est pris par
l’énergie électrique». Enthousiaste, il recommande à d’autres entreprises de s’équiper
pour être alimentées tout en faisant des économies, car assure-t-il, «le futur,
c’est le solaire».
Attractifs aujourd’hui pour l’électricité
domestique, les panneaux solaires sont utilisés depuis longtemps pour pomper
l’eau des forages et remplir les châteaux d’eau, notamment dans les quartiers périphériques
où il n’y a ni eau courante, ni électricité. Au royaume des forages, on a connu
l’époque des pompes à main ou à pied pour obtenir de l’eau. Aujourd’hui, les
panneaux solaires ont pris la relève pour faire fonctionner les pompes, accroître
les débits et satisfaire une demande qui ne faiblit pas si on en juge par les
bousculades observées devant le domicile de propriétaires de forage qui offrent
leur eau au voisinage.
Comme le fait aujourd’hui Kissima Diawara. Auparavant
son château d’eau était branché uniquement sur EDM-SA et il ne pouvait donc se
permettre de grever sa facture en faisant fonctionner sa pompe en continu.
Depuis qu’il s’est converti au solaire, finis donc les soucis de factures et il
peut fournir gratuitement de l’eau à ses voisins.
Nouhoum Samassékou professait un peu plus haut : «le futur, c’est le solaire». Kissima Diawara pourrait facilement ajouter : «le solaire, c’est le présent aussi».
Fadi CISSE
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