Aux sanctions prises par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), notamment la fermeture des frontières terrestres et aériennes, les autorités maliennes ont répondu par la réciprocité. Qu’en pensent passagers et transporteurs ? Un tour dans certaines gares routières de Bamako nous permet de nous imprégner de la situation.
À Sonef Transport, l’affluence ne faiblit pas ce mercredi. Les passagers continuent d’y arriver pour se rendre à l’intérieur du pays ou dans les pays voisins. Certains enregistrent leurs nombreux bagages en attendant l’heure du départ. D’autres font la réservation pour le prochain départ.
Rencontré sur place, Aly Diaby est un jeune vendeur de tissus. Il regrette les incompréhensions actuelles entre le Mali et la Cedeao. «C’est toujours le bas peuple qui paye le prix fort dans ce type scenario, les plus aisés et les leaders ne sentent les conséquences. Ils ont toujours une solution pour eux-mêmes et leurs familles», dit-il. Sanction ou pas sanction, il se dit obligé de bouger pour pouvoir faire vivre sa famille.
Comme lui, Oumar Diop attend le prochain départ. Étudiant au Sénégal, il estime que les rackets s’intensifieront sur le trajet. «Déjà, juste pour rentrer sur le territoire sénégalais, les hommes en uniformes nous extorquent 5.000 Fcfa, je n’imagine pas ce qu’ils vont nous demander avec cette situation. Au Burkina Faso, il y a un nombre incalculable de check-points où des gendarmes exigent de payer 1.000 Fcfa. Nos leaders ne vivent pas cela, car ils voyagent toujours par avion», explique Oumar Diop.
Le chef d’escale est débordé par l’afflux de clients. «Les passagers pour la plupart ne sont pas inquiets. En réalité, tout le monde sait à quel point nos frontières sont poreuses», calme Lamine Diakité. Ce matin, Sonef Transport a suspendu tous ses départs pour Dakar, Ouaga, Niamey et Abidjan, confirme le trentenaire. Concernant la ligne Bamako-Dakar, la compagnie assurera le transport des passagers jusqu’à Diboli à moitié tarif, un autre bus sénégalais prendra le relai pour les amener jusqu’à Dakar, selon lui.
À Tilemsi Transport, la gare grouille de monde. Les mesures barrières contre la Covid-19 semblent être le cadet des soucis. On charge des bagages par-ci, on les décharge par-là. Le chef d’escale, Hamani Moulaye, teint clair, est vêtu d’un boubou de couleur bleu ciel. Il supervise les mouvements. «Il serait mieux que l’on trouve rapidement une solution à cette crise. À cette allure, nous seront obligés de nous séparer de 50% de nos employés», soutient-ils. Tilemsi transport dessert l’axe Bamako-Dakar et Bamako-Nouakchott.
La ligne Bamako-Abidjan est fermée depuis le début de la pandémie de coronavirus. «Nous avons remboursé tous les billets à destination de Dakar. C’est à 10h hier que nos équipes sur place ont appelé pour nous informer que le Sénégal avait fermé ses frontières», confie Hamani Moulaye. Une situation qui bouleverse le plan de voyage d’Amina Bakayogo, 18 ans. Elle venait prendre un bus pour se rendre au pays de la Teranga. «Je n’étais pas au courent de la fermeture des frontières. Mon père m’a déposé à la gare vers 15heures et mon départ est prévu pour 18heures. J’en sais plus que faire», dit-elle.
À Africa Star Trans, le chef d’escale est serein. Pour lui, c’est l’occasion idéale pour le Mali surtout la jeunesse de s’assumer. «Les sanctions ne peuvent pas changer qui nous sommes, nous sommes membres fondateurs de la Cedeao», soutient Sadio Sylla. Pendant ce temps, des clients amènent des colis à destination des pays de la sous-région, d’autres payent leurs billets de transport.
Moussa Diarra, la vingtaine, est venu prendre un billet. «Je viens d’arriver de Mopti et j’aimerais aller rapidement à Dakar pour raison familiale. Au regard de la situation actuelle, je vais retourner à la maison en attendant de voir plus clair», explique le jeune homme.
La crise va certainement affecter tous les pays voisins et leurs ressortissants, estime le chef d’escale à Africa Star Trans. Pour Sadio Sylla, c’est l’occasion idéale de refonder l’État et de se donner les moyens d’avoir une vraie indépendance. Une quête de l’affirmation de notre souveraineté qui a un prix que tous les Maliens semblent disposés à payer.
Car, les différents responsables de compagnie de transport rappellent que l’essentiel de leurs recettes proviennent des voyages sous régionaux. Une fermeture des frontières entrainera indéniablement de grosses pertes et éventuellement des licenciements, expliquent-ils.
En la matière, le président du Syndicat des transporteurs, Youssouf Traoré, trouve qu’il est trop tôt pour mesurer l’impact des sanctions. «Nous sommes en train de réunir les données avec nos différents membres dans les autres pays limitrophes », explique le syndicaliste.
Oumar SANKARE
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