Le 24
novembre 2022, lors d’une cérémonie de remise de matériels à des femmes spécialisées dans l’agro-industrie à Bamako,
le ministre du Développement rural, Modibo Kéita et sa délégation vont à la
rencontre d’un homme. Au centre de leur attention, un séchoir solaire «Made in
Mali». Le ministre Kéita écoute religieusement l’exposé de Moumouni Traoré, le
concepteur de la machine. Les performances de cet appareil sont
impressionnantes. En effet, il est capable de sécher 350 kg de pulpe de mangue
par jour et de leur faire atteindre une qualité de conservation d’au moins deux
ans.
Tako Sylla,
représentante des unités industrielles, ne cache pas son étonnement. «Depuis
des années, nous nous donnons du mal pour trouver des machines à l’étranger
ainsi que des techniciens pour les réparer en cas de panne. C’est un grand
évènement que de savoir qu’on a un spécialiste malien à portée de main et
établi sur place », commente-t-elle.
Une semaine
après, nous avons rendez-vous avec notre innovateur-concepteur à son atelier
métallurgique à Magnambougou (Bamako). Look à la texane (stetson et bottes),
Moumouni Traoré nous fait visiter ses installations. Dans l’atelier règne un
vacarme assourdissant. On martèle, on découpe, on scie, on soude. Des machines
déjà achevées attendent d’être enlevées.
D’autres sont en cours de fabrication.
Le natif de Sikasso nous explique ce qui l’a amené dans un univers qui n’est
pas celui de sa formation d’origine. « Dans notre pays, fait-il
remarquer, 40 à 60% des productions fruitières, maraîchères ainsi que des
produits issus de l’élevage (viande, lait) sont perdus chaque année pour
plusieurs raisons. À commencer par l’étroitesse du marché intérieur. Tous les
produits arrivent à maturité à la même période. Une fois les besoins de
consommation satisfaits, l’absence de structures de conservation fait que le
restant est jeté».
Sans oublier, ajoute le sexagénaire,
l’enclavement des zones de production, le mauvais état des routes, la faible
disponibilité de moyens de transport pour acheminer les produits des zones de
productions vers les zones de consommation. Tout ceci combiné entraine des
pertes énormes pour les producteurs, déplore l’innovateur. Au moment où la
mangue pourrit à Sikasso, le même fruit est vendu à Gao à 500 Fcfa l’unité. De
même, à Baguinéda des tonnes de tomates entassées au bord de la route ne
trouvent pas preneur, faute de technologie de transformation et de
conservation.
Face à ces anomalies, notre interlocuteur énonce un credo très simple : «En tant qu’innovateur, nous avons donc décidé d’apporter notre contribution en mettant en place au niveau local des équipements faciles à fabriquer, à entretenir, à réparer en cas de panne et aisés à utiliser par les producteurs et les transformateurs», dit-il avec fierté, les yeux pleins de rêves.
40 ANS
D’EXPÉRIENCES- Ce credo, Moumouni Traoré l’a forgé pendant 40 ans d’expériences
diverses. économiste de profession, le thème de son mémoire a porté en 1984 sur
«L’étude du marché des chauffe-eau solaires à Bamako». Ce qui l’amène à
effectuer des enquêtes auprès des laboratoires. «C’est là que je me suis
intéressé à la production des équipements», précise-t-il.
Par la
suite, il devient un diplômé plein de rêves, mais sans emploi et avec un
intérêt poussé sur le solaire. C’est alors qu’il était encore au chômage qu’il
monte une société de séchage solaire à Yirimadio (Bamako) sans le moindre
financement. Sa voie actuelle, il commence à la trouver en travaillant dans le
milieu des ONG. Moumouni fera deux ans à Mopti dans l’installation des pompes
solaires, des systèmes d’irrigation solaire et des puits dans plusieurs
villages.
«Il n’est
jamais à court d’inspiration. Il expose ses idées et moi, je me charge de leur
donner une forme matérielle», nous dit Ousmane Cissé qui est le partenaire de
Moumouni depuis dix ans. «Travailler avec lui, c’est relever en permanence des
défis. Quand il débarque avec une nouvelle idée, on discute et souvent tu as
même l’impression que c’est impossible, mais au final on y arrive », relate le
métallurgiste.
La pratique
du séchage solaire a toujours existé dans notre pays. Malheureusement, menée de
manière primaire, elle est fortement aléatoire et agit négativement sur la
qualité des produits. Or, les Maliens sont devenus de plus en plus exigeants
vis-à-vis de ce qu’ils consomment. «Aujourd’hui, les femmes veulent des
poivrons emballés, des piments et autres condiments de meilleure qualité. Elles
sont sensibles à la différence qui existe entre le produit transformé et celui
issu de la conservation traditionnelle», constate Moumouni Traoré.
L’homme
dresse un autre constat. «Les Maliens, soutient notre innovateur, disent que
les Maliens n’aiment pas que tout ce que les Maliens eux-mêmes produisent. Moi,
je dis non. En réalité, le problème, c’est que tout ce que les Maliens
produisent est trop cher pour les Maliens. Le sachet de mangue séchée coûte 500
Fcfa, voire plus, alors qu’il peut être vendu à 100 ou 150 Fcfa de Kayes à
Kidal toute l’année. à condition que le séchage soit bien fait, et le coût de
fabrication maîtrisé. Il faut encourager la consommation locale. Ce qui va se
répercuter positivement sur la commande chez les équipementiers locaux et sur
l’artisanat local qui se modernise à la longue», explique-t-il.
L’ENGOUEMENT
POUR LA TECHNOLOGIE- Le fabriquant ne
s’interdit pas de rêver grand pour le pays. «Avec le bétail au nord, le poisson
et le bétail au centre, les fruits et les légumes au sud, il y a suffisamment
de ressources pour transformer, conserver et vendre les différents produits des
zones excédentaires vers les zones déficitaires», analyse-t-il.
Ce qui
renforce sa foi, c’est l’engouement de la jeunesse pour la technologie. «J’ai
vu des jeunes produire des petits multiculteurs à partir des moteurs de moto
Djakarta, s’enthousiasme-t-il, d’autres jeunes qui fabriquent des drones et
récemment des Maliens ont remporté le premier prix d’une compétition de
robotique aux États-Unis. Il y a juste dans notre pays un manque
d’accompagnement des porteurs de projets. Nous avons des centres d’innovations
et des services techniques qui malheureusement ne sont pas encore synchros avec
les apprentis promoteurs».
Inutile de
dire que Moumouni Traoré est, lui, un fervent adepte de l’innovation. Il fait
remarquer que les ateliers de soudure et menuiseries métalliques ne sont
utilisés que pour faire des portes et fenêtres alors qu’ils peuvent y ajouter
la production de séchoirs solaires, de presses, de pasteurisateurs et bien
plus. Il nous parle de ces ateliers qui se sont lancés avec succès dans la
mouture des oignons séchés, condiment qui fait le bonheur des ménagères et qui
est cédé à un prix très abordable.
Notre
innovateur a autour de lui une jeune garde qui profite de ses conseils et de
son expérience. Il regrette cependant que l’épineuse question du crédit
bancaire représente souvent un obstacle rédhibitoire.
Moumouni Traoré dispense également des
formations dans l’irrigation (aspersion, goutte à goutte, système californien)
sur plus de 200 ha aménagés. Il a formé des centaines de personnes dans la
culture fourragère, excellent aliment bétail utilisé à Mopti et Sikasso. Il
initie le recours à des plantes dénommées Jean King Grass, venues des
États-Unis et qui se renouvellent quatre semaines après avoir été fauchées.
Pour Traoré, il faut amener les éleveurs à produire eux-mêmes leur fourrage
pour nourrir les animaux.
Infatigable, Moumouni Traoré répète sans cesse une profonde conviction : le développement local se construira à travers la valorisation de notre savoir-faire local.
Oumar SANKARE
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