Me Ousmane B. Traoré : «La justice constitue un préalable à tout progrès»

Installé il y a quelques semaines dans ses fonctions, le nouveau bâtonnier de l’Ordre des avocats du Mali, Me Ousmane B. Traoré, a accepté de nous livrer ses impressions sur le fonctionnement de la justice malienne. Il a également partagé la vision qu’il nourrit pour le rayonnement du métier d’avocat

Publié mardi 07 février 2023 à 07:03
Me Ousmane B. Traoré : «La justice constitue un préalable à tout progrès»

L’Essor : Vous avez pris fonction officiellement le 15 décembre dernier en tant que bâtonnier. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle mission ?

Ousmane B. Traoré : Avant cette prise de fonction, j’avais déjà exercé celle de bâtonnier intérimaire pendant environ deux mois. Le moral est bon, l’état d’esprit, de façon générale, est très satisfaisant. C’est vrai que gérer la Maison des avocats n’est pas une tâche très aisée. Mais il faudrait s’armer de beaucoup de courage, de patience et surtout exercer la mission pour le bonheur et le bien-être des avocats. Et puis, il faut l’exercer en ayant la rigueur intellectuelle et morale, l’honnêteté chevillée au corps, faire en sorte qu’à l’heure du bilan, les avocats puissent comprendre que le bâtonnier a sérieusement mouillé le maillot.

 

L’Essor : les autorités de la Transition ont amorcé la  refondation de notre pays. D’aucuns estiment que la bonne distribution de la justice en est l’un des piliers. Quer pensez-vous ? 

Ousmane B. Traoré : La justice est le dernier rempart. Tout commence par la justice et tout finit par la justice. Elle a pour socle, la vertu et l’éthique. Ces valeurs sont consubstantielles à la justice. Elle est la base de la cohésion sociale, le pilier de l’état de droit. Elle est fondatrice des valeurs démocratiques, celles qui sont protectrices des libertés individuelle et publique. La justice véhicule la bonne gouvernance et assure le développement socioéconomique. Tout clairement, la justice constitue un préalable à tout progrès. Il est bien évident que sans justice forte, il ne peut y avoir d’état de droit, de bonne gouvernance, de développement ou d’évolution souhaitée.

 

L’Essor : Selon les statistiques officielles, seulement 25% de la population carcérale au niveau de la Maison centrale d’arrêt de Bamako  sont des condamnés, le reste étant des personnes en détention préventive. Qu’est-ce qui explique cette situation ? Qu’est-ce qu’il faut pour pallier ces dysfonctionnements?

Ousmane B. Traoré : Je crois qu’il faut un recrutement massif. Le recrutement des magistrats est souvent difficile parce que ça tient compte de la capacité du budget de l’État en termes de paiement d’ordre salarial. Indépendamment de cela, il faudrait que les tribunaux de grande instance qui sont supposés être les mieux dotés, puissent avoir le nombre suffisant de juges d’instruction.

Toutes les matières criminelles font l’objet d’instruction obligatoirement et certaines matières délictuelles. Et les juges sont obligés aussi, dans certaines conditions, de renouveler les mandats. Ils n’ont même pas le choix de plus en plus, parce que les textes les obligent à aller vers cela. Il serait donc plus opportun qu’à ce niveau, on puisse procéder à des recrutements à hauteur de souhait et que les cabinets d’instruction soient étoffés en nombre et en termes de commodité de travail pour qu’on puisse éviter ces situations-là. 

Je ne sais pas si les statistiques sont actuelles mais le constat est que beaucoup de détenus sont en attente de jugement.

 

L’Essor : Certains citoyens n’ont plus confiance aux avocats. Ils pensent que ceux-ci sont guidés seulement par la recherche du gain au mépris de leur obligation de défense. Qu’avez-vous à répondre ?

Ousmane B. Traoré : En termes d’anecdote même de boutade, ça me gêne en tant que bâtonnier que, de plus en plus, le citoyen en besoin de constituer un confrère ne dit plus : «je cherche un avocat». Mais vient dire plutôt : « j’ai besoin d’un bon avocat ou d’un avocat sérieux ». Il y a toujours cet adjectif supplémentaire qui est ajouté au nom avocat. Soit, il cherche quelqu’un qui est bon, cela veut dire qu’il y en a qui sont mauvais.


Ou, il cherche quelqu’un qui est sérieux. Ce qui voudrait dire qu’il y a certains parmi nous qui ne sont pas sérieux. Ce sont des données réelles. Cela voudrait dire que nous, avocats, devrions travailler très sérieusement à redorer notre image auprès de la population, du justiciable. En même temps, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Une bonne partie des confrères exercent le boulot en ayant des principes essentiels d’honnêteté, de rigueur morale, de désintéressement, d’éthique, de conscience professionnelle. Ils ont ces principes  chevillés au corps.

La profession d’avocat, elle-même, à l’origine était une profession ecclésiastique et aujourd’hui, même si nous ne sommes pas des hommes d’église, il reste bien entendu que nous devrions être très honnêtes. Je ne nie pas non plus que l’argent par moments a tout corrompu. L’argent est rentré dans les cabinets d’avocats. Il y a des réalités nouvelles qui se sont posées. Mais les avocats ne doivent pas oublier que nous sommes les défenseurs de la veuve et de l’orphelin.

La profession d’avocat est consubstantiellement liée à cette notion. Or, qui parle de veuve et d’orphelin, parle d’indigence, de situations d’impécuniosité et à ce moment là, nous, avocats, devons faire en sorte que la veuve et l’orphelin puissent être satisfaits lorsqu’ils sont au tribunal.


Cela pose le problème du désintéressement chez l’avocat. Et tant que l’avocat est désintéressé, il pourra accomplir sa mission à hauteur de souhait. Mais cela ne voudrait pas dire que nous devrions renoncer à toute perception d’honoraire. Parce que les cabinets ont des charges, lesquelles sont récurrentes d’ailleurs. Il faut faire face aux dépenses quotidiennes, payer les impôts, la patente, etc. Il y a ces réalités mais cela ne nous empêche pas de faire du social tant qu’on le peut.

 

L’Essor : Dans votre discours lors de la rentrée des cours et tribunaux 2022-2023, vous avez demandé de mettre en place un cadre d’échanges entre les acteurs de la justice. Quel sera l’impact de ce cadre sur la bonne distribution de la justice dans notre pays ?

Ousmane B. Traoré : J’ai souhaité qu’il y ait un cadre d’échanges, de façon permanente, entre les acteurs de la justice. Parce qu’une fois de plus, je le dis et je ne cesse de le répéter, la justice est rendue au nom du peuple malien. La décision de justice, elle-même, n’est rien d’autre qu’un bout de papier si le peuple ne lui donne pas une force exécutoire, en permettant aux bénéficiaires de la décision de requérir la force publique. Pour restaurer la confiance entre les divers acteurs de la justice (avocats, magistrats, agents de police judiciaire, notaires, etc), il faudrait qu’il puisse y avoir des cadres d’échanges. De façon permanente, que les uns et les autres puissent compléter leur façon de procéder et qu’on se complète aussi en même temps.

Nous sommes d’inspiration juridique française mais nous oublions qu’en France même, l’école de formation du barreau de Paris est présidée par un ancien président d’une Cour d’appel et c’est un vice-bâtonnier qui préside, actuellement, l’école de la magistrature de Bordeaux. C’est comme si on acceptait chez nous que l’école de formation du barreau, qui est en gestation, soit présidée par un magistrat. Mais aussi que l’Institut national de formation judiciaire, qui n’a pas vocation à être présidé uniquement par les magistrats, soit présidé par un bâtonnier, un ancien bâtonnier ou même un doyen qui a exercé la profession d’avocat et qui a certaines expériences.

Je crois que, de façon intelligente et interactive, on peut instaurer une sorte de dialogue entre avocats et magistrats. Parce que très souvent, on peut voir certaines attitudes au tribunal, au prétoire ou souvent lors des audiences et on a l’impression que c’est du pugilat, un véritable combat.

Alors que tout simplement, le prétoire devrait être un cadre d’échanges où seul le droit est magnifié, les états d’âme de personne n’auraient dû jouer à ce niveau. Et puis, les situations personnelles entre avocats et magistrats doivent être mises de côté.

Nous avons des fonctions différentes mais nous nous complétons dans la saine et bonne distribution de la justice. Une société sans juge relèverait tout simplement de la barbarie mais une société sans avocat relèverait de la tyrannie.

 

L’Essor : Vous avez aussi appelé à des sanctions contre les comportements déviants des acteurs de la justice. Comment cela se passera concrètement au niveau du barreau ?

Ousmane B. Traoré : On ne peut venir faire de la morale aux autres si nous-mêmes, avocats, ne sommes pas corrects. C’est pour cela que tout le long de mon discours lors de la rentrée judiciaire, j’ai insisté sur le fait que nous exerçons des fonctions sacerdotales. Cela voudrait dire que le peuple veut de la rigueur et que nous soyons des modèles. Pour cela, ceux qui décident allégrement de s’écarter des règles doivent être sanctionnés, car nul n’est au-dessus de la loi.

La profession d’avocat a tout prévu, notamment en termes de sanctions.


C’est pour cela que j’ai dit que le bâtonnier que je suis, avec le conseil de l’ordre qui vient d’être mis en place, nos mains ne trembleront pas. Tous les confrères qui vont adopter certains comportements qui déshonorent la profession, le conseil de discipline s’en saisira et les sanctions seront prononcées. Mais, une fois de plus, nous sommes avocats et nous tenons, comme à la prunelle de nos yeux, à la présomption d’innocence qui fait partie des principes essentiels.

De façon générale, je me réjouis n’avoir observé de comportements déviants depuis ma prise de fonction. Cela voudrait dire que les uns et les autres ont pris la température de la chose.

 

L’Essor : En perspectives, quelles sont les actions que vous comptez mener pour le rayonnement de la corporation ?

Ousmane B. Traoré : Pour le rayonnement de la corporation, les actions à mener seront énormes. Aujourd’hui, le barreau a besoin d’évoluer très positivement. Les anciens bâtonniers ont fait un travail colossal. Ils ont permis à la profession d’être connue et lui ont donné ses lettres de noblesse. Nous travaillons à pérenniser ces acquis. Au-delà, nous allons poser notre pierre à l’édification de la maison commune.

Nous avons un vaste chantier de construction pour à peu près 780 millions de Fcfa qui va permettre au barreau du Mali d’être doté d’infrastructures dignes en termes d’hébergement et d’équipements. On est aussi en train de travailler pour que tous les avocats puissent avoir la couverture en termes de maladie et de retraite.

 Il faudrait aussi qu’il y ait de nouvelles perspectives en termes de modernisation du barreau et de dématérialisation de certaines procédures si possibles. En même temps, le barreau du Mali doit jouer son rôle de barreau citoyen. Ne soyez pas étonnés de voir  le barreau communiquer beaucoup sur les sujets d’actualité parce qu’on  ne saurait être en marge de l’actualité sociopolitique.

Nous allons jouer pleinement ce rôle. Cela fait déjà 6 à 7 années qu’il n’y a pas eu de concours de recrutement en ce qui concerne la profession d’avocat. Nous travaillons là-dessus. Dès l’instant où toutes les conditions seront réunies, au regard des textes communautaires, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse organiser un concours. Parce que les juristes collaborateurs qui sont dans nos cabinets et les juristes qui sont sortis de l’université, qui aiment la profession, aspirent tous à exercer ce noble métier.

Propos recueillis par

Bembablin DOUMBIA

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