Délocalisation des marchés à bétail : Le quotidien difficile des petits métiers

En plus du désarroi moral des vendeurs de bétail, beaucoup de petites activités connexes se trouvent impactées. Des vendeurs d’essence aux marchands ambulants en passant par les gargotes côtoyant ces garbals, tous ressentent le coup

Publié jeudi 16 janvier 2025 à 08:19
Délocalisation des marchés à bétail : Le quotidien difficile des petits métiers

Pour des économistes, la délocalisation des garbals pourrait avoir des conséquences économiques sur les communautés locales

 

Si certains marchés ont été totalement déguerpis à ce jour, d’autres restent encore partiellement occupés malgré la mise en garde des autorités. À l’approche des fêtes religieuses (Tabaski et Ramadan) et d’autres évènements sociaux, les marchés à bétail disséminés dans notre capitale ressemblaient à une fourmilière géante où se confondent marchands de bétail, acheteurs et vendeurs ambulants.

Dès le début de ce mouvement de déguerpissement, suite aux attaques terroristes à Bamako le 17 septembre 2024 qui ont endeuillé la Nation entière, la désolation s’est installée chez les locataires. «Cette nouvelle instruction va me coûter très cher, car elle impacte en premier lieu mon porte-monnaie», s’indigne un éleveur qui a requis l’anonymat. Résident dans le même quartier que le marché où il opérait, notre interlocuteur ne supportait aucun frais pour se transporter sur son lieu de travail.

Désormais, il devra dépenser chaque jour la somme 2.500 Fcfa comme frais d’essence pour faire l’aller-retour de la maison au Dral à Kati. «Au-delà de cette nouvelle charge, l’éloignement du nouveau site a refroidi beaucoup de clients. Ce qui représente un manque à gagner énorme pour nous», regrette-t-il.

Si certains marchés ont été totalement déguerpis à ce jour, d’autres restent encore partiellement occupés malgré, la mise en garde des autorités. C’est le cas du marché «Luna Parc», dans le quartier de Bakaribougou, sur la route de Koulikoro. Ici, opèrent encore quelques irréductibles qui, en désespoir de cause, ont décidé de braver ces mesures pour leur survie. De peur de se faire identifier, un jeune marchand de bétail confie qu’il faut trouver des solutions modérées au lieu de déplacer tout le monde. Ainsi, il préconise par exemple que tous les parcs soient vidés de leurs occupants pendant la nuit.

Le secrétaire général du bureau national des marchands de bétails, Moussa Traoré est du même avis. Il est lui-même marchand de bétail au quartier TSF ou «Sans fil» depuis 1982. «À ce jour, nous comptons au moins trois marchés (Lafiabougou, Djélibougou, Sans fil) qui ont été déplacés vers le nouveau site de Kati. Ceux qui doivent être installés à Zantiguila sont toujours dans l’attente, car le site n’est pas encore prêt pour les accueillir», explique Moussa Traoré, soulignant que des pourparlers sont en cours avec les autorités pour trouver une alternative.


ACTIVITÉS CONNEXES IMPACTÉES- En plus du désarroi moral des vendeurs de bétail, il y a beaucoup de petites activités connexes qui se trouvent impactées, selon lui. Des vendeurs d’essence aux marchands ambulants en passant par les gargotes côtoyant ces garbals, tous ressentent le coup.

À en croire un pompiste d’une station-service située à côté du garbal de Lafiabougou, ce déménagement n’est pas une bonne chose pour lui, car cela impacte ses ventes. «Les vendeurs de bétail se ravitaillent en essence chez nous, et nous avons accès facilement au bétail à des prix avantageux, à cause de notre proximité et la familiarité qui s’est forgée», argumente notre pompiste. Idem pour les autres petits commerçants tout autour de ce marché.

Pour Edou Sidibé, boucher au marché de Sabalibougou Courani, l’insécurité constitue une inquiétude majeure pour se rendre au grabal de Zantiguila où au Dral pour acheter des bœufs, surtout lorsqu’il faut transporter une forte somme d’argent. En plus, les coûts ont augmenté. S’il fallait 2.000 Fcfa pour acheminer un bœuf de Niamana, il faut aujourd'hui 5.000 Fcfa ou plus, pour transporter un animal depuis le Dral de Kati ou de Zantiguila.

Seydou Diarra est économiste et cadre d’une institution financière de la place. Il estime que la délocalisation des garbals pourrait avoir des conséquences économiques majeures sur les communautés locales. «Les garbals jouent un rôle central dans l’économie informelle malienne. En plus d'être un point névralgique pour le commerce du bétail, ils créent un écosystème économique où divers petits métiers prospèrent, comme les vendeurs de nourriture, les transporteurs et les artisans. Leur délocalisation dans un endroit sans infrastructures adéquates, risque de désorganiser leurs activités, entraînant une baisse drastique des revenus pour des milliers de familles», explique-t-il.

En outre, il insiste sur la nécessité d’une planification préalable et d’un dialogue inclusif pour une transition réussie. Pour ce faire, il est crucial d’impliquer tous les acteurs dans les discussions et de mettre en place des infrastructures adaptées sur les nouveaux sites, comme des forages fonctionnels, des abris sécurisés et des mesures pour assurer la sécurité sur les lieux indiqués, préconise-t-il.

Une délocalisation mal préparée pourrait non seulement exacerber les inégalités économiques, mais aussi créer des tensions sociales, en particulier dans un contexte déjà fragile. Selon lui, les autorités doivent considérer l’impact à long terme sur les ménages et l’économie locale avant toute prise de décision.

Même si ces nouveaux sites sont loin de la capitale et s’avèrent inadaptés aux activités de vente de bétails, pour l’instant, les acteurs ont la certitude que ces endroits pourront servir de site d’embouche pour le développement du cheptel national.

Approché le gouvernorat n’a pas souhaité s’exprimer sur

le sujet.

Anta CISSÉ

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