
Dr Fodié Tandjigora
L’enseignant-chercheur affirme qu’il faut disséquer trois choses dans le concept de l’extrémisme violent ou du terrorisme. Le premier c’est l’insécurité résiduelle à savoir les attaques sur les axes routiers, les braquages de véhicules, les enlèvements d’animaux. La deuxième, ce sont des affrontements intercommunautaires ou même intracommunautaires, des règlements de compte souvent entre communautés, ou entre groupes armés et communautés. La troisième est de considérer le terrorisme comme une philosophie purement religieuse, a explicité Fodié Tandjigora.
Mais pour cette dernière, il trouve que sa doctrine n’est pas fondée sur la recherche de l’argent. «C’est une pensée qui vise tout simplement à nuire au nom d’une philosophie, d’un idéal politique et religieux», a indiqué l’universitaire. Selon lui, la lutte contre l’extrémisme violent doit prendre en compte le cas de ceux qui se sont repentis. Parlant des généralités du phénomène, il suggère que l’on offre une deuxième chance à ceux qui se sont repentis en essayant de trouver une réinsertion en garantissant par tous les moyens leur retour à la vie active.
Parce que pour lutter contre le radicalisme, tant que les jeunes qui se sont engagés n’ont pas la certitude que leur réinsertion est garantie par l’État central, ce retour va être difficile et même souvent impossible, a expliqué le spécialiste des questions d’extrémisme violent. D’après lui, l’on ne doit pas uniquement se limiter à la solution militaire, mais il y a aussi une lutte économique, idéologique. à son avis, il faut réussir à reconvertir ces jeunes qui croient fermement que leur salut est de l’autre côté.
Pour cela, les armes ne peuvent venir à bout, il faudrait accorder une grande importance à la réinsertion, suggère Dr Tandjigora, tout en recommandant d’encourager les jeunes à déposer les armes non pas sous la formule seulement de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR). Puisque ces longs processus de DDR découragent souvent les jeunes, déplore le professeur d’enseignement supérieur. Ce dernier conseille d’innover avec un système simple qui attire et facilite la réinsertion des jeunes.
En évoquant les origines, il précise un certain nombre de fragilités qui sont historiques à notre pays. Par exemple, il y a l’étendue du territoire qui n’est occupé également qu’au Sud du pays. Le Nord est très peu occupé. Donc, cela favorise la circulation des individus malintentionnés, du trafic d’armes et de carburants, poursuit l’enseignant-chercheur. En alertant que le trafic de tout genre peut se faire dans cette partie du pays.
Cela est la première fragilité. La deuxième est la couverture sécuritaire. L’expert relève qu’à part les grandes villes, la couverture sécuritaire est faible. «Et cela a tenu pendant longtemps parce que les Maliens sont de nature pacifiques. Beaucoup de querelles, de conflits étaient résolus à la source par des légitimités traditionnelles», reconnaît Dr Fodié Tandjigora.
De même, il fait savoir que ces formes de fragilité ajoutées à des séries de révoltes historiques finiront par faire du Mali un terreau favorable à l’émergence de la violence. L’analyste note que ce regain de tension est moindre au Sud ou à l’Ouest. Mais au Nord, insiste-t-il, il y avait des conditions favorables au terrorisme compte tenu de la porosité des frontières et surtout des velléités d’indépendance. En termes d’origine directe du terrorisme, l’on peut dire que c’est dû en grande partie à l’effondrement de l’État libyen, rappelle Dr Tandjigora, témoignant que beaucoup de Maliens avaient rejoint le mouvement dans ce pays et opéraient dans ces zones, légalement ou illégalement.
L’effondrement de l’État libyen, dénonce-t-il, a eu un effet domino sur des pays du Sahel (le Mali, le Niger et le Burkina-Faso). S’y ajoute la proximité ethnique. Selon lui, l’on ne peut empêcher aux Maliens de rentrer au pays. «Donc, quand la Libye est tombée cela a chamboulé toute la zone et les arsenaux libyens ont circulé parce qu’il n’y avait plus d’État. C’est un pays en lambeau, en guerre. Tout ceci finira par faire du Sahel un vrai terreau où va se développer le terrorisme», regrette le sociologue. Qui note aussi l’absence d’horizons pour les jeunes qui n’ont pas de perspectives d’avenir. C’est pourquoi, ces jeunes ont fait de ce mouvement une opportunité d’insertion socio-professionnelle, fustige l’orateur.
Soutenant que malheureusement, on leur propose des atrocités et la fourniture de renseignements moyennant de l’argent. «Si ces jeunes étaient insérés ou s’ils avaient une occupation plus ou moins lucrative, peut-être qu’ils ne se laisseraient pas charmer par ces mouvements terroristes», fait remarquer Fodié Tandjigora. Il y a aussi le fait que nos sociétés sont hiérarchisées. Et les castes inférieures, affirme-t-il, ont été instrumentalisées par les «djihadistes», c’est-à-dire qu’on leur a promis de meilleures conditions s’ils rejoignaient ces hors-la-loi.
Pour lui, ceux qui faisaient partie de la caste la plus basse se sont retrouvés dans les groupes terroristes avec des responsabilités. Parce que les terroristes ont une philosophie toute faite : aucune âme ne vaut mieux qu’une autre. Beaucoup de personnes faisant partie d’une classe inférieure ont milité en faveur de ces mouvements dans le but uniquement de rehausser leur statut social et de prendre une sorte de revanche sociale sur leurs anciens maîtres, précise le spécialiste.
AFFAIBLIR LES RANGS DES TERRORISTES- La lutte contre l’extrémisme violent, déclare-t-il, est une lutte de longue haleine puisque les mouvements terroristes sont entretenus, outillés et entrainés. À ses dires, bien que ces mouvements soient contrés par l’armée régulière, il y a toujours une persistance. Il faut savoir qu’un mouvement armé «djihadiste» n’est jamais fortuit. «Ce sont des financements, des objectifs stratégiques derrière. C’est pour cette raison que ça persiste. Il suffit juste de retirer les financements», renchérit Dr Tandjigora.
Notre consultant interroge sur la manière dont les terroristes trouvent des armes, des munitions et de la rémunération pour les combattants. Tout cela, ajoute le chercheur, nous fait comprendre qu’il y a des impérialistes qui financent ces mouvements «djihadistes». À l’entendre, le but n’est rien d’autre que de faire plier les autorités légales. «Pour le cas du Mali, par exemple, c’était de nous affaiblir à tel point que nous allons nous mettre à genoux pour remettre le pays à ceux qui envient son économie et ses richesses minérales», souligne Dr Tandjigora, estimant que «quand vous tenez tête», on finance le mouvement en jouant sur l’usure pensant qu’au fil du temps une partie va céder. Il croit que le Mali est dans cette usure, ce sillage. Fodié Tandjigora exhorte l’État et les Forces armées maliennes (FAMa) à la vigilance.
Abordant des mécanismes de prévention, il demande d’allier l’action militaire à l’action civile et économique. Alors pour mener à bien cela, le sociologue invite à relancer l’économie à l’intérieur. Cela passe par la construction des routes parce qu’elles font partie des facteurs de production économique. Si les routes sont bien sécurisées, les activités économiques pourront être relancées, assure-t-il.
À ce propos, les jeunes qui sont susceptibles d’être charmés pourront exercer une activité et acheminer les revenus vers les villes moyennes ou les centres urbains. Pour Fodié Tandjigora, à côté de l’action militaire, il faut engager une action économique et revaloriser les foires hebdomadaires. Donc, ce sont des routes stratégiques qu’il faudrait relancer, sécuriser pour permettre que les foires hebdomadaires se tiennent parce qu’elles font tourner l’économie au niveau des villages. Ce sont les marchés de ces économies-là qui feront occuper les uns et les autres et faire oublier la sonnette d’alarme des mouvements terroristes, argumente le sortant de la Sorbonne.
Concernant la paix et la réconciliation, l’universitaire fera savoir la nécessité de montrer les symboles de l’État en chantant et en rappelant les gloires du Mali. Au-delà, il faut ramener les citoyens et ceux qui sont égarés en leur offrant une opportunité d’insertion afin d’affaiblir les rangs des terroristes. «On ne peut mettre tout le monde en prison. Certaines réponses ne se trouvent pas dans la force physique, mais dans la redistribution des richesses entre les catégories socio-professionnelles, permettant le fonctionnement du corps social», conclut Dr Fodié Tandjigora.
Namory KOUYATE
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