Enseignant-chercheur Mohamed Lamine Ouattara : «Le chef de l’opposition garantit un contre-pouvoir officiel et structuré»

Diplômé d’études supérieures en philosophie et en sciences politiques, cet enseignant-chercheur à l’université Kurukanfuga de Bamako, expert/consultant sur les questions sécuritaires et de gouvernance au Centre d’études stratégiques et sécuritaires au Sahel (CE3S) aborde dans ces lignes le statut de chef de l’opposition

Publié lundi 28 avril 2025 à 07:19
Enseignant-chercheur Mohamed Lamine Ouattara : «Le chef de l’opposition garantit un contre-pouvoir officiel et structuré»

L’Essor : C’est quoi le statut du chef de file de l’opposition ?

Mohamed Lamine Ouattara : Comme cela existe dans beaucoup d’autres démocraties et ce, depuis très longtemps, surtout celles inspirées par le modèle britannique, le statut de chef de file de l’opposition au Mali est une position politique reconnue par l’État et instituée par une loi spécifique en l’occurrence la loi n°2015-007/ du 4 mars 2015 portant statut de l’opposition politique.

Si cette loi est d’adoption relativement récente, il est bon de rappeler que le statut des partis politiques de l’opposition est consacré depuis 1995, notamment à travers la loi n°95-073 du 15 septembre 1995 abrogée et remplacée par la loi n°00-047 du 13 juillet 2000.

C’est dire donc que notre pays s’est inscrit dans une logique de perpétuation et de consécration du rôle de l’opposition, à travers son institutionnalisation progressive. L’une des nouveautés de la loi de 2015 résidait alors dans la désignation d’un leader du rang de l’opposition qui va en être le chef avec des prérogatives, des droits et des devoirs à cet effet. Ce statut installe le chef de file de l’opposition dans un certain confort de fonctionnement (cabinet, véhicules de service, sécurité). Il est aussi relevé au rang de ministre avec des avantages protocolaires.

L’adoption de cette loi avait suscité beaucoup de réactions. Certains y voyaient une victoire de la démocratie ; elle symboliserait alors une marque de vitalité démocratique à travers une meilleure structuration de l’opposition et un meilleur accès à la prise de parole dans les médias publics. D’autres par contre soulevaient la crainte que l’opposition se fasse entretenir au point d’oublier son rôle au regard des privilèges qui sont accordés, sans oublier les risques de division en son sein, du fait de la désignation d’un chef de file.

L’Essor : Qui mérite ce titre ?

Mohamed Lamine Ouattara : La loi de 2015 est assez claire à ce propos notamment en son article 13 qui dit : «Le chef de file de l’opposition politique est désigné, en son sein, par le parti politique déclaré dans l’opposition, ayant le plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale à l’occasion des dernières élections législatives. En cas d’égalité du nombre de députés, le chef de file de l’opposition politique est désigné par le parti politique déclaré dans l’opposition, ayant obtenu le plus grand nombre de conseillers communaux à l’occasion des dernières élections communales… ».  L’article 13 propose une autre alternative selon les cas comme pour dire que beaucoup d’éventualités sont envisagées en vue d’un choix objectif.

Mais en dehors de ce cadre légal et de ces critères objectifs, le vrai enjeu réside dans la question de la légitimité. Comme le disait le journaliste feu Adam Thiam, le chef légal doit être un chef légitime. Le chef de file de l’opposition doit être une personnalité qui arrive à fédérer et à rassembler plutôt les différentes positions de l’opposition, pour ne pas fragmenter davantage un camp parfois déjà éclaté.

Le mérite revient donc au responsable du parti politique ou de la coalition ayant le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale parmi les partis d’opposition ou répondant aux autres critères selon les cas ; mais ce dernier doit bénéficier d’une certaine légitimité de sorte à pouvoir mettre en œuvre son leadership.

L’Essor : Pourquoi ce statut est accordé à un leader  politique ?


Mohamed Lamine Ouattara : Ce statut est accordé à un leader politique, surtout du rang de l’opposition au regard des rôles et attributions qui sont dévolus à ce dernier et consacrés par la loi de 2015. L’on peut citer par exemple, entre autres, la représentation de l’opposition politique dans les grandes instances de l’État ; la consultation sur des questions nationales (notamment les réformes électorales, constitutionnelles, etc.) ; la faveur de disposer d’un temps de parole dans les médias publics. S’y ajoute la formulation des critiques sur les politiques gouvernementales.


On voit donc clairement que le chef de file de l’opposition peut jouer un rôle structurant et crédible dans la vie politique, s’il incarne à la fois compétence, légitimité électorale et capacité de proposition. En sus, l’opposition ne doit pas être systématiquement dans la confrontation. Une posture équilibrée, critique mais responsable, peut renforcer sa crédibilité. Tout cela passe nécessairement par une certaine structuration et organisation de l’opposition pour que celle-ci n’évolue pas en rangs dispersés. Par ailleurs, le statut doit permettre de valoriser l’opposition extraparlementaire en coordonnant les actions de celle-ci avec celle de l’opposition parlementaire.

 L’Essor : À l'heure de la relecture de la Charte des partis politiques, faut-il garder ou supprimer ce statut ?

Mohamed Lamine Ouattara : À mon avis, la refondation tant voulue par les Maliens doit se faire en préservant les acquis positifs de notre démocratie tout en corrigeant les imperfections et les tares. Les Assises nationales de la refondation (ANR) ont clairement recommandé la relecture de la Charte des partis politiques, avec une réaffirmation du statut de chef de file de l’opposition non pas une suppression. Et les besoins d’analyse exigent de faire un bilan de ce statut en passant au peigne fin ses forces et ses faiblesses, histoire d’éviter de tomber dans l’effet de mode.

Dans la pratique, l’on a observé quelques problèmes ou risques liés au statut de chef de file de l’opposition.


 Tout d’abord, il faut signaler le risque de personnalisation excessive en ce sens que la politique malienne est souvent centrée sur les personnes plutôt que sur les idées. Le statut peut renforcer cette tendance. Ensuite, ce statut peut aussi être à la base d’une fragmentation de l'opposition dans des cas où le chef de file est contesté par d’autres partis d’opposition, ce qui peut affaiblir leur cohérence. En un moment donné,  feu Soumaila Cissé était  confronté à ce problème.

Cependant, malgré ces inquiétudes légitimes, les avantages de ce statut semblent l’emporter sur ses faiblesses et ce, pour quatre raisons au moins. La première a trait à l’idée d’un renforcement de la démocratie. Il est évident que ce statut institutionnalise l’opposition, ce qui est crucial dans une démocratie. Il garantit un contre-pouvoir officiel et structuré. La deuxième raison est que le statut permet un encadrement du débat politique en permettant à l’opposition d’avoir une voix forte, bien identifiée, dans les débats nationaux.

 En troisième lieu,  il faut dire que ce statut permet une certaine stabilité politique car plutôt que de marginaliser l’opposition, ce statut l’intègre dans le jeu politique. Ce qui peut réduire les tensions ou les conflits liés à l’exclusion. La quatrième raison et non pas la moindre, c’est que le statut oblige l’opposition à proposer des alternatives concrètes, avec une figure qui en porte la responsabilité devant l’opinion publique.

Au regard donc de toutes ces raisons, je reste circonspect et demeure dans l’expectative quant à l’idée d’une éventuelle suppression du statut du chef de file de l’opposition car pour moi tout ce qui ne menace pas la démocratie, la rend plus forte. Une opposition forte et fortement institutionnalisée est symbole de vitalité démocratique car l’un des principes sacrosaints de la démocratie est l’acception de la contradiction et de la diversité des opinions. Je crois personnellement à la force de la contradiction et des critiques constructives car les contraires s’accordent et la discordance crée la plus belle harmonie.

Interview réalisée par

Namory KOUYATE

Lire aussi : 38è anniversaire de la disparition du président Thomas Sankara : le message d’hommage du capitaine Ibrahim Traoré

À l’occasion du 38è anniversaire de l’assassinat du Président Thomas Isidore Noël Sankara, le chef de l’État burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, a rendu un vibrant hommage au père de la Révolution d’août 1983.

Lire aussi : Décès de l’ancien Premier ministre Soumana Sako: la Nation perd un homme d´Etat

L’ancien Premier ministre Soumana Sako a tiré sa révérence, ce mercredi 15 octobre 2025. Né en Nyamina en 1950, Soumana Sako a obtenu le Diplôme d’étude fondamentale (DEF) en juin 1967 et le Bac trois ans plus tard, en se classant dans les cas deux Premier national.

Lire aussi : Environnement : Les femmes de Siby à l’avant-garde de la sauvegarde

En plus d’être de ferventes agricultrices, les femmes de Siby sont aussi de véritables gardiennes de la nature. Elles assurent la protection de l’environnement avec leur savoir-faire.

Lire aussi : Journée internationale de la femme rurale : Hommage aux «NYeléni» de Siby

C’est aujourd’hui qu’on célèbre la Journée internationale de la femme rurale. À cette occasion, nous sommes allés à la rencontre des braves femmes de Siby dont la principale activité est de travailler la terre pour garantir la sécurité alimentaire dans la communauté et assurer leur a.

Lire aussi : Kangaba : Démarrage des travaux du principal caniveau

Les travaux de construction du principal caniveau qui traverse la ville de Kangaba ont démarré le jeudi 9 octobre. Ils sont financés par le budget de la Commune rurale de Minidian pour un montant total de 47.496.416 Fcfa. Le premier coup de pelle a été donné par le maire de cette commune, Mamb.

Lire aussi : Diéma : Des consignes claires pour éviter une pénurie de carburant

Le 2è adjoint au préfet de Diéma, Attayoub Ould Mohamed, à la tête d’une délégation restreinte, comprenant le 2è adjoint au maire de la Commune rurale de Diéma, Nakounté Sissoko, le chef du service subrégional du commerce et de la concurrence, Mamby Kamissoko, et des éléments des Forc.

Les articles de l'auteur

Pr Franklin Nyamsi : «On en veut au Mali pour avoir délogé des troupes néocolonialistes occidentales et onusiennes»

Dans cet entretien, le président de l’Institut de l’Afrique des libertés apporte son éclairage sur les stratégies de guerre informationnelle et le «terro-journalisme». Pr Franklin Nyamsi évoque aussi les décisions courageuses prises par les autorités maliennes.

Par Namory KOUYATE


Publié mardi 14 octobre 2025 à 08:13

Cercle de Kignan : La CACK portée sur les fonts baptismaux

Le samedi 27 septembre 2025 fera date dans les annales du tout nouveau Cercle de Kignan, dans la Région de Sikasso. Un nouveau bébé est né. Il s'agit de la Coordination des associations du Cercle de Kignan, en abrégé (CACK) qui a vu le jour au Palais de la culture Amadou Hampaté Bâ..

Par Namory KOUYATE


Publié vendredi 10 octobre 2025 à 11:54

Coopération bilatérale : L’ambassadeur qatari en fin de mission fait ses adieux à notre pays

Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, a offert hier un déjeuner d’adieu à l’ambassadeur de l’Etat du Qatar, Ahmed Abdul Rahaman Mohammed Al Senaidi, en fin de mission après sept ans dans notre pays. Le doyen du corps diplomatique qui s’apprête à quitter le Mali a beaucoup contribué au renforcement des relations de coopération bilatérale entre les deux États..

Par Namory KOUYATE


Publié vendredi 10 octobre 2025 à 11:49

Le chef de la diplomatie mauritanienne en visite au Mali : «Je suis venu transmettre un message de solidarité, de paix et de stabilité au peuple malien»

Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Mauritaniens de l’extérieur, Mohamed Salem Ould Merzoug, a fait cette déclaration, hier, à l’issue de son audience avec le Chef de l’État au palais de Koulouba.

Par Namory KOUYATE


Publié jeudi 09 octobre 2025 à 07:37

Approvisionnement du pays en carburant : Les cinq mesures édictées par le premier ministre

Il s’agit de la coordination et de la concertation, de la sécurisation des convois et des travaux critiques, de l’approvisionnement et la distribution, de l’accompagnement des opérateurs victimes et de la diplomatie.

Par Namory KOUYATE


Publié lundi 06 octobre 2025 à 07:50

Réformes de l’enseignement : Les lumières d’un maître de conférences

Dr Moriké Dembélé de la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) de l’Université Yambo Ouologuem de Bamako (UYOB) passe au peigne fin les différentes réformes du secteur de l’éducation, y compris les griefs et les manquements. Le spécialiste en sciences de l’éducation propose une refonte majeure des contenus d’enseignement avec à la clé l’apport d’une équipe de technocrates.

Par Namory KOUYATE


Publié mercredi 01 octobre 2025 à 08:41

In memoriam : Aboubacar Traoré repose désormais au cimetière de Lafiabougou à Sikasso

Détenteur d’une Maîtrise en droit, Aboubacar Traoré intègre la Rédaction de L’Essor en 2018. Au Desk politique, il s’est fait vite remarquer par son professionnalisme, son sérieux et surtout sa disponibilité. Ses anciens collaborateurs se souviennent d’un homme respectueux, jovial et très pieux.

Par Namory KOUYATE


Publié mardi 30 septembre 2025 à 08:53

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner