#Mali : Drogue : Le mal s’incruste dans la société

Aujourd’hui, zombie, coffe, k.o. panacée, caillou cannabis, marijuana détruisent des vies et sèment la discorde dans les familles. Autorités, parents, leaders religieux, influenceurs sur les réseaux sociaux sont tous interpellés pour éradiquer ce fléau qui conduit à la déchéance

Publié mardi 05 novembre 2024 à 21:57
#Mali : Drogue : Le mal s’incruste dans la société

Beaucoup de ces produits psychotropes viennent du Nigeria et du Ghana

 

Une fin d’après-midi du mois d’octobre. Nous sommes dans un quartier de Bamako. Pendant que les croyants musulmans se préparent pour la prière du crépuscule, une bagarre éclate dans la famille Diarra. Dans les vapes, Issa poursuit son oncle avec une machette et jure de lui faire la peau s’il le rattrape. N’eut été l’intervention de justesse d’un membre de la famille un drame familial se serait produit.

Issa n’est pas à sa incartade. Son entourage immédiat peut en témoigner. Maintes fois, il a été impliqué dans des cas de vol perpétrés dans son sillage immédiat. Aujourd’hui non seulement il a volé, comme à ses habitudes, mais aussi il s’en est pris à son oncle, patriarche de la maisonnée dont il a tenté de dérober le téléphone. Pris la main dans le sac, au lieu de faire son mea culpa, Issa se met en colère et injurie tout le monde.

Comme s’il accuse son oncle de l’avoir surpris en train de soustraire frauduleusement l’appareil. Ce qui a irrité à son tour Seïba qui accuse toute la famille dont ses propres parents qui, d’après ses dires, lui interdisent de corriger son neveu Issa. L’ire de Seiba finit par se propager dans la famille. Chacun finit par vouloir donner une bonne leçon à l’impénitent garçon. Lorsque le calme revient, décision est prise de faire venir son père pour le ramener chez lui, abrégeant ainsi son séjour dans la grande famille maternelle.

 

MORT D’UNE OVERDOSE- Autre quartier, autre histoire semblable. Nous sommes à Hamdallaye, un des vieux quartiers de la capitale. Ici l’agresseur est un accro à «zombie», une des nouvelles trouvailles des toxicomanes locaux. Les utilisateurs la décrivent comme celle qui «cale d’un seul coup». Le chercheur Youssouf Kanté, directeur du Centre «Miracle», spécialisé dans la lutte contre les stupéfiants, nous apprend que «zombie» a la particularité de n’avoir d’effet que sous le soleil. En d’autres mots, la substance hiberne dans le corps de son consommateur jusqu’au moment où le soleil darde ses rayons lumineux.

Le garçon d’Hamdallaye en est un consommateur invétéré. Renvoyé de l’école pour consommation de drogue, sa mère en a plus que marre de lui et jure sur la tête de ses ancêtres de ne plus s’occuper de lui. «Il n’est pas mon seul garçon. Je n’en peux plus. Je suis fatiguée. Si je ne le lâche pas, il finira par me tuer. Je vais me consacrer à l’avenir des autres», laisse-t-elle entendre avec dégoût et dédain, chaque fois qu’on évoque le nom de l’adolescent de 17 ans.

À quelques pâtées de maisons de la mère du consommateur de «zombie», celle qu’on surnomme C.F est inconsolable depuis 4 mois. Le plus jeune de ses enfants est mort d’une overdose d’après le certificat de décès délivré par une structure hospitalière de la place. Papou, comme on le surnommait, a été retrouvé un matin mort dans son lit. Connaissant la cause de sa mort bien avant le certificat de décès, sa famille a réduit au strict minimum le protocole funéraire. Papou sera-t-il la première ou la dernière victime des stupéfiants dans sa famille ? Rien n’est moins sûr. On chuchote dans les parages que ses quatre frères partageaient avec lui le même vice.

 «La drogue est une chose que seuls les consommateurs peuvent apprécier», justifie Oumar, un utilisateur, posté près d’une montagne d’ordures d’où émanait une odeur pestilentielle. Pour appuyer ses propos, il raconte une anecdote : «La panacée» (mélange du cannabis et du coffe) est corsé. Avant, je ne prenais que le cannabis, mais au fil du temps, j’ai connu le coffe à travers un ami qui faisait le mélange de cannabis et de coffe. Un jour, il est venu chez moi, comme j’étais malade, il m’a fait injecter ce mélange. D’un seul coup, je me suis mis sur pied».  

Notre interlocuteur affirme avoir aussi découvert K.O. appelé «caillou» par la suite et il en est tombé amoureux. «Depuis qu’il le prend, il ne rentre plus chez lui. Il vadrouille dans les alentours du Stade Modibo Keïta», nous apprend un de ses proches. En toxicomane complet, il porte dans son sac les outils nécessaires pour s’envoyer dans les nuages (cuillère, seringue, briquet et bien sûr la poudre blanche). «Sans ma dose régulière, raconte-t-il, je ne plane pas, je tremble, des larmes coulent de mes yeux ; je  n’arrive pas à dormir, ni manger.

L’envie d’en prendre me ronge», récapitule le bonhomme qui dit regretter son mariage au cours duquel il a eu un enfant, et qui n’a duré qu’une petite année en raison de ses humeurs maussades de drogué. Très loquace pendant notre rencontre, Oumar nous résume en quelques mots le modus operandi des vendeurs de la drogue. Très souvent, la transaction s’effectue par échange de regard ou de poignée de mains, ou encore en remettant une banale enveloppe contenant de la poudre.

 

DEUX TYPES DE DROGUÉS- Oumar décrit les consommateurs comme étant très des jeunes et les met dans deux paniers. Le premier contient, selon lui, ceux qui sont connus de tout le monde comme les enfants de la rue, des apprentis chauffeurs et certains mendiants. Dans le second, il place les enfants issus de familles riches ou à revenus moyens.

Le neuropsychiatre Amara Kanouté caractérise les drogues sur le marché malien, selon leur accessibilité, leur nocivité et le comportement de leurs consommateurs. Pour le spécialiste, le cannabis, la marijuana, le haschich, le chanvre indien, le coffe et le caillou sont des drogues peu coûteuses, mais très dangereuses. Elles rendent  agressif et l’apparence des consommateurs est des moins enviables. Par contre, ceux qui prennent le crac, la cocaïne, l’amphétamine sont calmes et d’apparence soignée.

Le toubib se désole de noter que des gens prennent la drogue sans se rendre compte. C’est le cas des consommateurs de certains comprimés dits de la rue. Il cite, entre autres, des substances auxquelles on a attribué des noms dans la langue la plus parlée du pays, le bamanankan, comme «sanprin» et «banaseji».

Sur l’origine de ces produits, un dealer bien imprégné qui a souhaité garder l’anonymat assure qu’ils viennent, du Nigeria et du Ghana et sont conditionnés sur place puis distribués par des détaillants locaux. Ces derniers ne prennent pas toujours de l’espèce sonnante et trébuchante.

Le système de troc a cours dans certains quartiers du centre-ville où les grossistes sont légion. Les engins à deux roues, les vêtements, les chaussures peuvent être échangés contre de la drogue. Certaines femmes, soi, disant des vendeuses ambulantes des produits dits de santé, s’approvisionnent en échange d’une partie de jambes en l’air.

L’Office central des stupéfiants (OCS) fait état pour l’année 2024 de 701 personnes mises en cause dans les affaires de drogue. Parmi celles-ci, 201 sont des consommateurs et 224 des revendeurs. Les nationaux constituent le gros du contingent. Ils sont en effet  534 Maliens contre 11 étrangers qui ont pu être cueillis à ce jour. La valeur des produits saisis est estimée à plusieurs dizaines de milliards de Fcfa.

La loi n°01-078/du 18 juillet 2001 en son article 94 punit d’un emprisonnement de 5 à 10 ans de réclusion et d’une amende allant de 5 à 50 millions de Fcfa, pour l’exploitation, l’importation et le transport international de drogues à haut risque. Au plan local, l’offre, la mise en vente, la distribution, le courtage, la vente, la livraison à quelque titre que ce soit, l’envoi, l’expédition, le transport, l’achat, la détention ou l’emploi de drogues à haut risque sont sanctionnés par l’article 96 du même texte.

Les contrevenants s’exposent à un emprisonnement de 5 à 10 ans et au payement d’une amende de 200.000  à 2 millions de Fcfa ou de l’une de ces deux peines seulement. Face au fléau une commission de sensibilisation des jeunes sur les effets néfastes de la consommation des drogues été mise en place. L’initiative est du Président de la Transition, après l’échec de plus de 2.000 jeunes candidats à l’enrôlement dans les différents corps de l’Armée.



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De la drogue dans le sang

 

L’information est tombée comme un couperet. Lors d’un point de presse de la Direction de l’Information et des relations publiques des Armées, (Dirpa), le premier responsable de la structure, le colonel-major Souleymane Dembélé, a révélé que depuis deux ans, l’Armée peine à combler ses besoins en recrues, parce que des résidus de drogue ont régulièrement été retrouvés dans le sang des candidats.

Dans la dernière vague des candidatures à intégrer les Forces armées et de sécurité du Mali, plus de 2.000 jeunes ont été recalés pour la même raison (de la drogue dans le sang). La rigueur dans les analyses de sang a permis de faire cette découverte malheureuse. «C’est aujourd’hui un problème de santé publique. La jeunesse malienne est malade. Ce qui se passe actuellement, si ça continue comme ça, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de notre jeunesse dans 10 ou 20 ans», s’inquiète le directeur de la Dirpa, qui a invité la population à en prendre conscience et à veiller sur les enfants. L’officier supérieur déplore le comportement de certains parents qui approvisionnent leurs enfants pour les rendre plus «supportables». Car en manque, ils deviennent comme enragés.

La gynécologue Dr Aïcha Diakité est également de cet avis. Pour elle, les stupéfiants nuisent aux organes vitaux du corps humain comme le foie, le cœur, l’estomac. Mais aussi sur l’appareil génital. Elle explique ceci : «En ma qualité de gynécologue, je reçois beaucoup de patients mariés, mais qui n’arrivent pas à avoir d’enfants, car l’homme ne produit pas suffisamment de spermatozoïdes ou en produit de mauvaise qualité» à cause probablement des effets de ces produits psychotropes.

Autant l’État s’engage, autant certains citoyens s’impliquent. C’est le cas de Youssouf Kanté, directeur du Centre Miracle qui héberge et soigne des malades psychiquement atteints et ceux dont les parents estiment qu’ils sont sous l’emprise de Satan ou des esprits malveillants. Ou encore ceux rendus fous par la drogue. La thérapie ici comprend la diffusion des versets du Saint Coran autour d’une armée de 200 patients répartis entre douze cellules (bloc). Pour le directeur du Centre Miracle s’occuper de tels patients comporte des risques énormes, car le toxicomane se sent limité dans ce qu’il croit être sa liberté.

Les sevrer leur paraît donc comme une punition et ils deviennent rancuniers, donc dangereux. Outre la dangerosité des malades, il existe une autre situation. En effet, certains parents se débarrassent littéralement de leurs enfants accros aux substances psychotropes. Ce qui n’est pas facile à gérer par son établissement dont les ressources sont limitées.

Il y a donc lieu de s’inquiéter car, comme le disait Charles Martin, l’avenir de toute nation repose sur sa jeunesse, celle dotée de caractère noble et d’ambitions élevées. 

Maïmouna SOW

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