Dans
certains ménages polygamiques, les épouses usent de tous les coups pour être la
préférée du mari. Dans cette démarche, une frange importante d’entre elles
emploie l’envoûtement en vue de mettre leur homme «sous leur aisselle». Ramata
(nom d’emprunt) est la seconde épouse de son mari. Durant les premières années
de son mariage, son homme rencontrait des difficultés à accomplir son devoir
conjugal. «C’était seulement avec moi qu’il avait ce problème», sourit-elle. Le
problème est que, dit-elle, les traitements traditionnels et modernes avaient échoué
à soigner son époux. Son mariage ne tenait qu’à un fil du fait de cette défaillance
du mari.
Pendant
ce temps, explique Ramata, son époux suspectait la première femme d’être la
source de ce dysfonctionnement. Il avait même menacé de la divorcer si elle ne
disait pas la vérité. Celle-ci avait toujours nié sa responsabilité dans les
faits. Pour la faire intelligemment avouer, indique Ramata, l’homme simulait la
même panne sexuelle lorsque c’était le tour de la première épouse. Lassée de ce
comportement, affirme-t-elle, la suspecte a admis son forfait. Notre
interlocutrice se rappelle les confessions de sa coépouse : «Pardonne-moi, tout
ça c’est de ma faute. C’est moi qui ai provoqué ce problème par jalousie et
cela se retourne contre moi.» Pour être dans les bonnes grâces de son mari,
explique Ramata, la première épouse s’était servie d’une tige de mil ficelée de
fils rouges et noirs et munie de cauris qu’elle avait cachée sous son oreiller.
Aminata est la première épouse de son mari. Elle verse son avis à ce débat. Elle estime que certains hommes sont injustes et impartiaux. Leur comportement pousse de nombreuses femmes à recourir aux pratiques occultes pour obtenir la faveur de l’époux. Elle affirme avoir été tentée à cause de la jalousie. «Mon mari ne me donne pratiquement rien depuis qu’il a épousé une seconde femme. Je fais la lessive pour nourrir mes enfants», se plaint-elle. «Par contre, ma coépouse est une salariée. Quand c’est mon tour de cuisine, il me donne 5.000 Fcfa pour mes deux jours. Cet argent doit servir à l’achat du sucre pour le petit déjeuner, les frais de condiments pour le déjeuner et le dîner. Souvent, ce sont mes frères qui me donnent de l’argent pour rendre ma sauce plus savoureuse», témoigne Aminata qui dit avoir supporté ces humiliations pendant huit ans.
MÉFIANCE-
Il y a des femmes qui trouvent tous les moyens pour empêcher l’élu de son cœur
de nouer une autre relation amoureuse. Astou Traoré explique son aventure. «Mon
mari découchait. J’en avais marre de supporter ses escapades. Avec l’appui d’un
marabout, j’ai fait en sorte que sa virilité soit affectée quand il s’adonne à
un acte intime avec une autre femme», confie-t-elle. Et d’indiquer que l’envoûtement
a fonctionné pendant plusieurs mois. Toutefois la pratique ne l’a pas mis à
l’abri d’une complication de situation. «Mais à ma grande surprise, il a pris
une deuxième femme avec l’appui de sa mère. À chaque fois qu’il était dans la
chambre de la nouvelle mariée, c’était la bagarre», témoigne Astan Traoré. À
cause de cette situation, la seconde femme a jeté l’éponge en abandonnant le
foyer conjugal. «Je sais que ce n’est pas bien ce que je fais, mais je n’ai que
cette solution pour garder mon mari», avoue-t-elle. Selon elle, son geste vise également
à mettre ses enfants à l’abri des conflits d’héritage que la polygamie engendre
souvent.
Ces
pratiques mystiques ont instauré dans certains foyers polygamiques une véritable
méfiance qui a exacerbé les suspicions. Ainsi, certains polygames font montre
de beaucoup de prudence quant aux repas de leurs épouses. Oumou (nom d’emprunt)
nous explique le cas de son oncle. Elle affirme que ce dernier a refusé de
manger le repas de sa deuxième épouse pendant environ deux ans après avoir découvert
qu’elle avait tenté de l’envoûter. Oumou précise que l’incident s’est passé en
2020 quelques semaines avant l’avènement de la
Covid-19. «Quand l’époux a découvert un élément suspect dans la sauce,
il a demandé sans succès à sa femme de manger le plat», raconte-t-elle. Depuis
ce jour, poursuit notre interlocutrice, son oncle refuse de manger le repas
familial sans la compagnie de sa femme et de ses enfants.
Selon
un géomancien qui a requis l’anonymat, une femme recourt aux pratiques occultes
pour envoûter son mari afin de bénéficier d’un traitement privilégié. Il témoigne
que cette alternative s’offre à l’intéressée quand cette dernière n’arrive pas à
conquérir pour elle seule l’attention de son époux à travers sa coquetterie et
ses idées. Selon lui, la concurrence est le propre de l’être humain et les
femmes ne font pas exception à la règle. De
ce fait, leur cas ne doit pas susciter l’étonnement. «Chacune d’elle veut être
la plus aimée. La première épouse ne veut pas être détrônée au profit de la
nouvelle. Cette dernière, persuadée que la première a suffisamment passé de
bons moments avec l’époux, veut avoir une position privilégiée.
Si elle voit
que la première exerce une grande influence sur leur époux, elle opte
facilement pour l’envoûtement», explique le géomancien, avant de résumer que la
pratique est juste une sorte de compétition entre coépouses. «Elles ne nous
demandent pas de tuer une personne, mais de «s’accaparer du cœur» de leur
conjoint. C’est très rare que la cliente nous demande d’attenter à la vie de
leur adversaire», insiste le devin. Et d’affirmer que la pratique est sans
danger pour les cibles. Mais elle engendre et alimente des frustrations
permanentes et installe un climat de «guérilla conjugale» insidieux entre les
conjoints. «Tous les tirs de barrages» des épouses qui se livrent à ces
pratiques sont concentrés sur le pauvre conjoint.
CONSÉQUENCES
NUISIBLES- Le prêcheur Mono Coulibaly explique que l’envoûtement fait partie
des pratiques fortement condamnées par Dieu. Il précise que la loi islamique prévoit
la décapitation de la personne qui s’adonne à cet «acte maudit». Ses prières ne
seront acceptées qu’après la repentance, poursuit le maître coranique. L’ensorcèlement
ne date pas d’hier. Le prédicateur musulman indique qu’à la demande des mécréants, une dame avait jeté un
sort au prophète Mohamed (PSL) en utilisant onze épingles. «Deux anges ont sauvé
la vie du Messager de Dieu à travers la récitation de deux sourates (Al falaq
et An-nâs) dont le nombre de versets équivaut au total à onze», raconte l’érudit.
Mono Coulibaly affirme que ces pratiques illicites occasionnent des conséquences
nuisibles sur la descendance du responsable des faits. Il renchérit que ces
personnes ne bénéficieront pas de la clémence de Dieu le jour du jugement
dernier. Pour lui, la cliente s’expose au risque de devenir l’épouse du jeteur
de sort. Le prêcheur témoigne qu’il connait des cas de ce genre. Me
Alassane Aldior Diop, avocat à la Cour, explique que les pratiques occultes
dites d’envoûtement ou d’ensorcèlement sont des synonymes de la sorcellerie.
Il
indique que le Code pénal malien réprime la sorcellerie instrumentalisée liée à
une activité frauduleuse et assimilée clairement à du charlatanisme et à
l’escroquerie. Le juriste cite l’article 281 de la loi n° 2016-39 du 7 juillet
2016 portant Code pénal du Mali qui dispose que : «Quiconque se sera livré au
trafic d’ossements humains ainsi qu’à des pratiques de sorcellerie, magie ou
charlatanisme susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux
personnes ou à la propriété, sera puni de six mois à deux ans d’emprisonnement
sans préjudice, le cas échéant, des peines d’escroquerie».
Un individu a beau être
qualifié de «sorcier», explique Me Alassane Aldior Diop, ses actes ne peuvent
l’exposer à des condamnations pénales que s’ils sont de nature à troubler
l’ordre public ou à porter atteinte aux personnes ou aux biens d’une personne. «Tant
que cette limite n’est pas franchie, la sorcellerie en soi n’intéresse pas le
juge pénal», informe-t-il. L’avocat
indique que la question de complicité et de la preuve matérielle des pratiques
de charlatanisme troublant l’ordre public sont également prévues par la loi.
Il
précise que les complices de l’infraction d’accusation de pratique de
sorcellerie sont ceux qui ont, en toute connaissance de cause, aidé ou assisté
l’auteur ou les auteurs de l’action dans les faits, qui l’ont préparée, facilitée
ou consommée. Y compris ceux qui ont recélé des personnes présumées auteurs de
l’infraction. Me Alassane Aldior Diop poursuit que la preuve des allégations
d’envoûtement doit être également apportée par le plaignant. Ce qui est extrêmement
difficile à produire au regard de la subtilité et de la sensibilité de la
pratique.
Djeneba BAGAYOGO
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